2. Le phénomène des conversions de non-musulmans à l'islam

Le phénomène des conversions de non-musulmans à l'islam.

À la perspective de voir une au niveau global une "Renaissance" comparable à celle qui en Europe remit à l'honneur les penseurs de l'Antiquité gréco-romaine, précipitant ainsi, avec un retour en faveur des sciences,  l'avènement des Temps Modernes, on opposera le phénomène des conversions à l'islam de non-musulmans, Occidentaux, Africains, voire Chinois, à la recherche d'un nouveau mythe fondateur. Ce phénomène de conversions qui alimente entre autres l'exode de candidats jihadistes vers la Syrie, l'Irak, les territoires contrôlé par l'ISIS, le Yémen ou d'autres régions du monde représente-t-il un courant de fond, destiné à continuer de drainer comme le communisme le fit pendant plus d'un siècle les victimes d'un capitalisme associé au colonialisme européen d'abord, de l'impérialisme américain ensuite ? De nos jours l'islamisme attire non seulement la classe moyenne musulmane "obligée" de vivre dans des sociétés où ils sont minoritaires – dans des états kafir – mais aussi des jeunes occidentaux souffrant d'une marginalisation socio-économique, et d'une crise identitaire et culturelle. Cet attrait pourrait-il s'inscrire dans le temps long inaugurant un nouveau Moyen-Âge ? Ou n'est-il au contraire qu'un feu de paille qui s'éteindra dès que l'échec de l'islamisme à fédérer tous les musulmans – toutes les "sectes" mais aussi toutes les nations, clans et tribus musulmanes - deviendra patent, et que la perspective d'un monde complètement "soumis" sera vue comme la dernière des utopies meurtrières qui ont agité le monde au cours du siècle dernier ?

Peut-on aussi, renouant avec le concept d'une "personnalité de base" propre à chaque culture (Ralph Linton) supposer que l'islam pourrait représenter un catalyseur assez puissant pour fédérer à l'échelle globale les personnalités rigides, qu'elles soient narcissiques et autoritaires – les meneurs - ou à l'inverse de type soumis, à la recherche d'une image du père ou du chef protecteur, cherchant à s'éviter les affres du choix et de la décision personnels, cherchant un sens tout fait plutôt que de chercher à créer ce sens ? Est-il invraisemblable que ce modèle déjà dominant dans cette partie du globe – du Moyen-Orient à l'Indonésie - où l'islam a réussi à s'imposer – à l'exception de l'Inde et de l'Indochine - pendant au moins un millénaire, réussisse à s'étendre en agrégeant à l'échelle globale les représentants de cette famille d'esprit ? Nous verrions alors reproduite le modèle de valeurs et de relations sociales, qui a dominé la plus grande partie de la préhistoire, où la force physique ou sexuelle suffisait à assurer la dominance, ou celui caractéristique du Moyen-Âge où la force, le contrôle des ressources, et la naissance, étaient déterminants.

Le phénomène des conversions volontaires de non-musulmans à l'islam.

Sur le fond des printemps arabes, de la guerre civile en Syrie et de l'apparition de l'ISIS, état islamique fondé sur l'islam et sur l'islam seulement, dans ce dernier pays et en Irak, et de l'afflux de combattants d'origine occidentale, dont un nombre important au départ non-musulmans, sur ces terrains, la question est devenue fréquente dans les presses tant européennes qu'anglophones : qu'est-ce qui explique que des jeunes, certains issus de milieux aisés, tournent le dos à une vie relativement confortable mais aussi à des idéologies laïques et consuméristes pour se joindre au jihad dans des conditions souvent très pénibles et dangereuses.

Ce phénomène de conversions, même s'il est particulièrement remarquable en Europe – où la critique du christianisme, remontant à la Renaissance, a sapé les fondements de l'identité religieuse – et en Amérique, où le consumérisme et ses excès font de certaines dénominations protestantes américaines une caricature du message de sobriété et de solidarité du christianisme originel1 peut aussi être constaté bien que de manière moins remarquable dans d'autres régions du monde, Afrique sub-saharienne et même Asie de l'Est.

C'est peut-être dans cette région du monde, en Chine particulièrement qu'un phénomène encore loin d'être massif mais sur lequel on a déjà attiré l'attention pourrait avoir lieu : celui de la conversion de Han (Chinois de l'ethnie majoritaire et dominante) à l'islam. Ce faisant, ces Hans, deviennent techniquement des Hui, ce groupe ethno-religieux descendant des premiers immigrés musulmans en Chine dès le 7e siècle EC2. Les Hui - 10,5 millions d'individus - bien que ne représentant que 0,7 % de la population chinoise, n'en sont pas moins une des premières des 55 ethnies officiellement reconnues. Cependant le mot "hui" en chinois ne désigne pas seulement une ethnie mais aussi l'appartenance religieuse. "Hui" et "musulman" sont presque synonymes. Se convertir à l'islam pour un Han revient non seulement à devenir musulman mais aussi à changer de "nationalité" (d'ethnie). A terme la conversion de Hans pourrait donc augmenter le nombre et l'influence des Hui au sein desquels la Confrérie des Frères musulmans (Ikhwan) est particulièrement active.

Remarquons que la Chine partage avec l'Occident certaines des conditions qui ont mené l'Occident au "désarmement religieux et moral" : critique déjà ancienne, remontant au 19 e siècle au moins, des religions traditionnelles chinoises, de leurs institutions, de leurs abus, de leurs superstitions d'une part, répression active de toutes les religions au cours de la Révolution culturelle et des années qui suivirent, et depuis Deng Xiao Ping, encouragement à l'enrichissement personnel à tout prix qui donne à la société chinoises de cette première décennie du 21e siècle, en tous cas dans les grandes villes de l'Est, des traits comparables aux sociétés occidentales – que la Chine pourrait d'ailleurs à terme remplacer dans sa course aux dépenses somptuaires.

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Mais la question ci-dessus – comment expliquer les conversions de non-musulmans à l'islam, cette religion, elle aussi en crise ? - manifeste cependant chez la majorité de ceux qui s'essayent à y répondre, soit une méconnaissance profonde soit une condescendance voire un mépris du comportement religieux dans le chef des individus, ainsi qu'une ignorance de la fonction sociétale de la religion ou des religions.

L'explication favorite dans la presse occidentale se résume souvent dans le concept de "crise identitaire" ou "identity crisis".

Pour comprendre le phénomène religieux nous devons d'abord nous tourner vers une fonction mentale souvent décriée, l'imagination – la fée du logis – où se déploient les mythes et symboles résultant d'une imprégnation collective et cimentant la cohésion sociale, sur lesquels viennent se profiler images, concepts et fantasmes issus de nos expériences existentielles privées.

Pascal a défini l'Homme comme "roseau pensant". Mais ce même Pascal a aussi dit que "le coeur a ses raisons que la raison de connaît point". On a aussi dit qu'il était un animal doté du langage, voire un "singe grammairien". Freud enfin et d'autres avec lui ont montré que la raison est loin d'être le moteur ou le guide unique ou principal de nos comportements, et pas d'avantage la "rationalité économique". Car comment expliquer sinon, dans l'islam par exemple, l'interdiction du travail des femmes, ou du prêt à intérêt, ou encore ou le fait que les entreprises terroristes aient bénéficié de complicités officielles dans des pays très dépendant du tourisme tels que l'Egypte (Xavier Couplet et Daniel Heuchenne, Religions et développement, Paris, Economica, 1998, pp. 207-2015) ? Je serais tenté de qu'il est un "primate imaginant", l'imagination, la fonction symbolique, le langage et la pensée y étant intimement imbriqués. Car sa faculté de penser ne repose-t-elle pas sur sa faculté de parler ? Peut-on penser sans mots ? Et que sont les mots sinon des images ? Images d'abord sonores – phylogénétiquement - puis - ontogénétiquement – mentales.

Ajoutons que notre rapport au réel - faudrait-il écrire "au Réel" - n'est pas uniquement "intéressé" par les agents les plus matériels de la survie. Notre rapport au réel est aussi affectif. Nous avons besoin de dire au monde l'admiration ou la terreur qu'il nous inspire. Nous avons besoin, à défaut toujours d'être accepté, aimé ou admiré par nos congénères, de nous "brancher" sur le réel et/ou sur la société qui en représente pour chacun de nous l'interface humain.  

Les religions, depuis les cultes de la famille et des ancêtres animistes, et confucianistes, en passant par les divinités - claniques, tribales puis nationales – pour aboutir aux grandes religions à prétention universelle, polythéistes (syncrétisme gréco-égypto-romain, hindouisme, bouddhisme) et monothéistes (christianisme, islam), ne sont que des programmes dont les unités signifiantes de base d'abord des mots s'incarnant en symboles et/ou en images, et se déployant en rites ont précisément comme but d'établir ce lien.

Toutes visent à créer pour les sociétés et les individus – pour les individus et les sociétés ? – une perspective dépassant celle de la mort de l'individu, le fameux "mur" de Camus.

Sans cette perspective, permettant les projets, individuels ou collectifs, le désespoir – la dépression - s'installe. Après que le primate devenant homme eût maîtrisé le verbe il a sans doute rapidement utilisé ce nouvel outil à des fins – poïétiques - d'auto-suggestion et de suggestion pour faire sans cesse reculer "le mur". Le comportement religieux est étroitement solidaire de la fonction symbolique et langagière. A ce titre, il est inscrit dans nos gènes fait sans doute partie de notre DNA.

Lorsqu'une société telle que la nôtre, en Europe de l'Ouest particulièrement, mais aussi en Chine, désarme sur ce front, et renonce aux mythes qui l'ont construite – ou les déconsidère sans les remplacer par rien - elle ouvre la porte à d'autres mythes. Car si les sociétés peuvent s'imaginer pouvoir un temps se passer de mythes, il n'en est pas de même des individus.

Les mythes sont un outil essentiel de la cohésion, de l'intégration et de l'autorité des sociétés mais aussi de motivation et mobilisation affective de ses membres. 

La mythologie de l'islam convient-elle au monde varié et complexe qui s'annonce ? Et a-t-elle plus de chance de s'imposer que celle d'une fédéralisation progressive de pays et de groupements de pays – tels que l'UE, l'ASEAN, l'OUA etc. - dans le cadre d'un ONU éventuellement revisité, ou que la mythologie encore vivace du San jiao, Y jiao de l'Asie de l'Est, où chaque individu peut être le lieu de plusieurs allégeances religieuses ?





1 Vladimir Poutine comparant les églises américaines à des nightclubs ou des discothèques.

2 Les sources statistiques précises manquent mais les estimations tournent autour de 2% de la population chinoise soit entre 20 et 30 millions de Hui pour toute la Chine. http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_ethnic_groups_in_China

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