Le phénomène des conversions de
non-musulmans à l'islam.
À la perspective de voir une au niveau global une "Renaissance" comparable à celle qui en Europe remit à l'honneur les penseurs de l'Antiquité gréco-romaine, précipitant ainsi, avec un retour en faveur des sciences, l'avènement des Temps Modernes, on opposera le
phénomène des conversions à l'islam de non-musulmans, Occidentaux, Africains,
voire Chinois, à la recherche d'un nouveau mythe fondateur. Ce phénomène de conversions qui alimente
entre autres l'exode de candidats jihadistes vers la Syrie, l'Irak,
les territoires contrôlé par l'ISIS, le Yémen ou d'autres régions
du monde représente-t-il un courant de fond, destiné à continuer
de drainer comme le communisme le fit pendant plus d'un siècle les
victimes d'un capitalisme associé au colonialisme européen d'abord,
de l'impérialisme américain ensuite ? De nos jours l'islamisme
attire non seulement la classe moyenne musulmane "obligée"
de vivre dans des sociétés où ils sont minoritaires – dans des
états kafir – mais aussi des jeunes occidentaux souffrant d'une
marginalisation socio-économique, et d'une crise identitaire et
culturelle. Cet attrait pourrait-il s'inscrire dans le temps long inaugurant un nouveau Moyen-Âge ? Ou
n'est-il au contraire qu'un feu de paille qui s'éteindra dès que
l'échec de l'islamisme à fédérer tous les musulmans – toutes
les "sectes" mais aussi toutes les nations, clans et tribus musulmanes -
deviendra patent, et que la perspective d'un monde complètement
"soumis" sera vue comme la dernière des utopies meurtrières
qui ont agité le monde au cours du siècle dernier ?
Peut-on aussi, renouant avec le concept
d'une "personnalité de base" propre à chaque culture
(Ralph Linton) supposer que l'islam pourrait représenter un catalyseur
assez puissant pour fédérer à l'échelle globale les personnalités
rigides, qu'elles soient narcissiques et autoritaires – les meneurs
- ou à l'inverse de type soumis, à la recherche d'une image du
père ou du chef protecteur, cherchant à s'éviter les affres du
choix et de la décision personnels, cherchant un sens tout fait
plutôt que de chercher à créer ce sens ? Est-il invraisemblable
que ce modèle déjà dominant dans cette partie du globe – du
Moyen-Orient à l'Indonésie - où l'islam a réussi à s'imposer –
à l'exception de l'Inde et de l'Indochine - pendant au moins un
millénaire, réussisse à s'étendre en agrégeant à l'échelle
globale les représentants de cette famille d'esprit ? Nous verrions
alors reproduite le modèle de valeurs et de relations sociales, qui
a dominé la plus grande partie de la préhistoire, où la force
physique ou sexuelle suffisait à assurer la dominance, ou celui
caractéristique du Moyen-Âge où la force, le contrôle des
ressources, et la naissance, étaient déterminants.
Le phénomène des conversions
volontaires de non-musulmans à l'islam.
Sur le fond des printemps arabes, de la
guerre civile en Syrie et de l'apparition de l'ISIS, état islamique
fondé sur l'islam et sur l'islam seulement, dans ce dernier pays et
en Irak, et de l'afflux de combattants d'origine occidentale, dont un
nombre important au départ non-musulmans, sur ces terrains, la
question est devenue fréquente dans les presses tant européennes
qu'anglophones : qu'est-ce qui explique que des jeunes, certains
issus de milieux aisés, tournent
le dos à une vie relativement confortable mais aussi à des
idéologies laïques et consuméristes pour se joindre au jihad dans
des conditions souvent très pénibles et dangereuses.
Ce phénomène de conversions, même
s'il est particulièrement remarquable en Europe – où la critique
du christianisme, remontant à la Renaissance, a sapé les fondements
de l'identité religieuse – et en Amérique, où le consumérisme et
ses excès font de certaines dénominations protestantes américaines
une caricature du message de sobriété et de solidarité du
christianisme originel1
peut aussi être constaté bien que de manière moins remarquable
dans d'autres régions du monde, Afrique
sub-saharienne et même Asie de l'Est.
C'est peut-être dans cette région du
monde, en Chine particulièrement qu'un phénomène encore loin
d'être massif mais sur lequel on a déjà attiré l'attention
pourrait avoir lieu : celui de la conversion de Han (Chinois de
l'ethnie majoritaire et dominante) à l'islam. Ce faisant, ces Hans,
deviennent techniquement des Hui, ce groupe ethno-religieux
descendant des premiers immigrés musulmans en Chine dès le 7e
siècle EC2. Les Hui - 10,5 millions d'individus - bien que ne représentant que 0,7 % de la population chinoise, n'en sont pas moins une des premières des 55 ethnies officiellement reconnues. Cependant le mot "hui" en chinois ne désigne pas seulement
une ethnie mais aussi l'appartenance religieuse. "Hui" et
"musulman" sont presque synonymes. Se convertir à l'islam
pour un Han revient non seulement à devenir musulman mais aussi à
changer de "nationalité" (d'ethnie). A terme la conversion de Hans
pourrait donc augmenter le nombre et l'influence des Hui au sein
desquels la Confrérie des Frères musulmans (Ikhwan) est
particulièrement active.
Remarquons que la Chine partage avec
l'Occident certaines des conditions qui ont mené l'Occident au
"désarmement religieux et moral" : critique déjà
ancienne, remontant au 19 e siècle au moins, des religions
traditionnelles chinoises, de leurs institutions, de leurs abus, de leurs
superstitions d'une part, répression active de toutes les religions
au cours de la Révolution culturelle et des années qui suivirent,
et depuis Deng Xiao Ping, encouragement à l'enrichissement personnel
à tout prix qui donne à la société chinoises de cette première
décennie du 21e siècle, en tous cas dans les grandes villes de
l'Est, des traits comparables aux sociétés occidentales – que la
Chine pourrait d'ailleurs à terme remplacer dans sa course aux
dépenses somptuaires.
*
Mais la question ci-dessus – comment
expliquer les conversions de non-musulmans à l'islam, cette
religion, elle aussi en crise ? - manifeste
cependant chez la majorité de ceux qui s'essayent à y répondre,
soit une méconnaissance profonde soit une condescendance voire un
mépris du comportement religieux dans le chef des individus, ainsi
qu'une ignorance de la fonction sociétale de la religion ou des
religions.
L'explication favorite dans la presse
occidentale se résume souvent dans le concept de "crise
identitaire" ou "identity crisis".
Pour comprendre le phénomène
religieux nous devons d'abord nous tourner vers une fonction mentale
souvent décriée, l'imagination – la fée du logis – où se
déploient les mythes et symboles résultant d'une imprégnation
collective et cimentant la cohésion sociale, sur lesquels viennent se profiler images, concepts et
fantasmes issus de nos expériences existentielles privées.
Pascal a défini l'Homme comme "roseau pensant". Mais ce même Pascal a aussi dit que "le coeur a ses raisons que la raison de connaît point". On a aussi dit qu'il était un animal
doté du langage, voire un "singe grammairien". Freud enfin et d'autres avec lui ont montré que la raison est loin d'être le moteur ou le guide unique ou principal de nos comportements, et pas d'avantage la "rationalité économique". Car comment expliquer sinon, dans l'islam par exemple, l'interdiction du travail des femmes, ou du prêt à intérêt, ou encore ou le fait que les entreprises terroristes aient bénéficié de complicités officielles dans des pays très dépendant du tourisme tels que l'Egypte (Xavier Couplet et Daniel Heuchenne, Religions et développement, Paris, Economica, 1998, pp. 207-2015) ? Je serais
tenté de qu'il est un "primate imaginant", l'imagination, la fonction symbolique, le langage et la pensée y étant intimement imbriqués. Car sa faculté de
penser ne repose-t-elle pas sur sa faculté de parler ? Peut-on penser sans
mots ? Et que sont les mots sinon des images ? Images d'abord sonores
– phylogénétiquement - puis - ontogénétiquement – mentales.
Ajoutons que notre rapport au réel - faudrait-il écrire "au Réel" - n'est pas uniquement "intéressé" par les agents les plus matériels de la survie. Notre rapport au réel est aussi affectif. Nous avons besoin de dire au monde l'admiration ou la terreur qu'il nous inspire. Nous avons besoin, à défaut toujours d'être accepté, aimé ou admiré par nos congénères, de nous "brancher" sur le réel et/ou sur la société qui en représente pour chacun de nous l'interface humain.
Ajoutons que notre rapport au réel - faudrait-il écrire "au Réel" - n'est pas uniquement "intéressé" par les agents les plus matériels de la survie. Notre rapport au réel est aussi affectif. Nous avons besoin de dire au monde l'admiration ou la terreur qu'il nous inspire. Nous avons besoin, à défaut toujours d'être accepté, aimé ou admiré par nos congénères, de nous "brancher" sur le réel et/ou sur la société qui en représente pour chacun de nous l'interface humain.
Les religions, depuis les cultes de la
famille et des ancêtres animistes, et confucianistes, en passant par
les divinités - claniques, tribales puis nationales – pour aboutir
aux grandes religions à prétention universelle, polythéistes
(syncrétisme gréco-égypto-romain, hindouisme, bouddhisme) et
monothéistes (christianisme, islam), ne sont que des programmes dont
les unités signifiantes de base d'abord des mots s'incarnant en
symboles et/ou en images, et se déployant en rites ont précisément comme but d'établir ce lien.
Toutes visent à créer pour les
sociétés et les individus – pour les individus et les sociétés
? – une perspective dépassant celle de la mort de l'individu, le
fameux "mur" de Camus.
Sans cette perspective, permettant les
projets, individuels ou collectifs, le désespoir – la dépression
- s'installe. Après que le primate devenant homme eût maîtrisé
le verbe il a sans doute rapidement utilisé ce nouvel outil à des
fins – poïétiques - d'auto-suggestion et de suggestion pour faire
sans cesse reculer "le mur". Le comportement religieux est
étroitement solidaire de la fonction symbolique et langagière. A ce
titre, il est inscrit dans nos gènes fait sans doute partie de notre
DNA.
Lorsqu'une société telle que la
nôtre, en Europe de l'Ouest particulièrement, mais aussi en Chine,
désarme sur ce front, et renonce aux mythes qui l'ont construite –
ou les déconsidère sans les remplacer par rien - elle ouvre la
porte à d'autres mythes. Car si les sociétés peuvent s'imaginer
pouvoir un temps se passer de mythes, il n'en est pas de même des individus.
Les mythes sont un outil essentiel de la cohésion, de l'intégration et de l'autorité des sociétés mais aussi de motivation et mobilisation affective de ses membres.
La mythologie de l'islam convient-elle
au monde varié et complexe qui s'annonce ? Et a-t-elle plus de
chance de s'imposer que celle d'une fédéralisation progressive de
pays et de groupements de pays – tels que l'UE, l'ASEAN, l'OUA etc.
- dans le cadre d'un ONU éventuellement revisité, ou que la mythologie encore vivace du
San jiao, Y jiao de l'Asie de l'Est, où chaque individu peut
être le lieu de plusieurs allégeances religieuses ?
1 Vladimir
Poutine comparant les églises américaines à des nightclubs ou des
discothèques.
2 Les
sources statistiques précises manquent mais les estimations tournent autour de 2% de la population chinoise soit entre 20 et 30 millions de Hui pour toute la Chine. http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_ethnic_groups_in_China
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