Les conflits entre les appartenances
ethno-religieuses, et de caste, après la relative accalmie des
Trente Glorieuses, semblent depuis la chute du mur de Berlin s'être
ranimés en différents points du globe.
Tant les politiques que les académiques
de ces trois ou quatre dernières décennies, se sont montrés
jusqu'à présent partisans convaincus d'un "économisme"
– qu'il soit d'inspiration marxiste ou libérale - qui veut
expliquer tous les conflits entre castes ou appartenances
religieuses en terme de différentiels socio-économiques. Cette
hypothèse aboutit à prétendre qu'une politique de réduction des
inégalités suffira à trouver une solution durable à ces conflits.
Leur assurance se voit cependant ébranlée par la violence et l'ampleur de conflits qui ne sont plus simplement
territoriaux mais font s'affronter par delà les frontières des
entités où se confondent identités religieuse, ethnique,
culturelle et parfois linguistique. Certains même des plus ardents
défenseurs de l'hypothèse "économiste" sont en voie de
comprendre, et d'admettre, que les facteurs culturels et religieux, les "mythes fondateurs", les "narratives" comme disent de nos jours les anglophones, représentent
aussi une variable cruciale et parfois
déterminante de l'équation. Un nouveau paradigme "culturaliste"
serait-il en train de reprendre forme ?
Parmi ces facteurs, un des plus
importants est la représentation de l'Histoire comme une ligne avec
un début et une fin, et la croyance en un progrès aussi inéluctable
qu'indéfini. Cette représentation est surtout caractéristique d'un Occident, dans
lequel j'inclus le Moyen-Orient et l'Islam. Elle est liée au "créationnisme" impliquant la croyance en un Dieu et se fonde sur l'image
d'un monde créé par ce Dieu - ou son surgissement soudain d'un Big Bang - et une fin : apothéose ou
apocalypse marquant la victoire du Bien sur le Mal, de la Vérité
sur l'Erreur, de Dieu sur le Diable. Elle est donc étroitement liée
au monothéisme des Sémites et des chrétiens. On retrouve cette
représentation implicite chez certains mêmes de ceux qui s'en
croient les moins atteints, certains marxistes par exemple,
inconscients de la nature religieuse de la métaphore du "Grand
Soir". Son avatar le plus résistant est sans doute le dieu Progrès. Cette représentation n'est cependant qu'un phénomène
purement mental, culturel, ne correspondant objectivement à rien
dans la nature même si elle produit des résultats observables dans
les sociétés humaines. Si pour les chrétiens cette fin de
l'histoire devait coïncider avec l'avènement de la Cité de Dieu,
pour les marxistes, avec la victoire du prolétariat et le Grand
Soir, pour Fukuyama (The End of History and the Last Man) avec celle du modèle libéral américain, pour
les scientistes par la victoire de la science ou de la technique,
pour l'islam il est clair que la "fin de l'histoire", le
but ultime du "progrès", coïncide avec la soumission de
tous à la religion du prophète et à l'hypothétique grande paix
qui s'ensuivrait.
Cette
représentation, cette croyance en un progrès devant aboutir à une
société idéale définitive, n'a jamais été partagée par
l'autre moitié de l'humanité, l'Extrême-Orient – Asie de l'Est –
et l'Inde, à laquelle on peut ajouter les minorités animistes qui
ont survécu en Afrique, en Amérique et en Sibérie. Au paradigme
linéaire, ces sociétés, ont toujours préféré la représentation
d'une histoire cyclique. L'histoire des sociétés serait, à l'image des vies individuelles faite d'une succession de
cycles dessinant une naissance, une croissance, un âge mûr, un
déclin et une disparition, avant d'entamer un nouveau cycle, éventuellement ascendant. Ce qui donnerait à l'histoire la forme d'une spirale, connaissant éventuellement elle-même des hauts et des bas, plutôt que celle, assez simpliste, reconnaissons-le, d'une ligne droite finie. Chaque société particulière aurait
connu plusieurs de ces cycles, comme en connaîtra la société
globale qui vient d'émerger.
L'année 2014 a vu le surgissement
soudain d'un "état" – ISIS/ISIL/DAECH - prétendant
restaurer l'état musulman tel qu'il fut créé par Mahomet et ses
successeurs immédiats. Elle vit aussi la victoire des démocrates
contre les islamistes en Tunisie, les tergiversations d'Obama
vis-à-vis du régime syrien, le naufrage de la Lybie dans les
conflits tribaux et religieux, la contamination islamiste du Mali, du
Nigeria (Boko Haram), la réplique violente des chrétiens et
animistes (anti-balakas) à cette contamination (sélékas) en
République centre-africaine,
et de manière plus profonde le dévoilement de l'alliance objective
entre les USA, l'Arabie saoudite et Israël que les négociations visant à mettre fin aux sanctions
contre l'Iran viennent de mettre brutalement en évidence. La principale signification de
ces accords – qu'ils soient ou non suivis des résultats escomptés
– est que les USA et les Occidentaux, fatigué du double jeu
(takya) des Saoudiens et des Arabes en général, finançant en
sous-main tout un éventail d'entreprises terroristes visant des alliés, utilisés comme de simples mercenaires, semblent avoir
préféré réduire leur dépendance stratégique vis-à-vis des pays
du Golfe, et d'Israël, en rendant à l'Iran la rôle majeur qu'il
avait dans l'équation moyen-orientale avant l'avènement du
khomeinisme. Dévoilement aussi de la véritable nature du régime
turc et de son double jeu par rapport à l'ISIS.
En
Europe une Union européenne déliquescente s'avère incapable de
résister aux intrigues et pressions du commonwealth anglophone et de
l'OTAN préférant risquer voir s'installer un nouveau "rideau
de fer" entre la Russie et l'Europe de l'Ouest plutôt que de
permettre la poursuite d'une intégration économique européenne qui
à terme pourrait inclure la Russie dans le cadre d'une zone de
libre échange continentale européenne.
Succédant à quatre décennies
ponctuées d'attaques terroristes et de conflits armés, de nouveaux
soubresauts ont encore marqué le Moyen-Orient et l'Occident – et
marginalement la Chine - en 2014 et continuent en 2015, démarrant en
fanfare par l'attaque à Paris du siège de l'hebdomadaire Charlie
Hebdo par des islamistes locaux. Suivent la révolte des chiites Houthis au
Yemen et la constitution pour en venir à bout, d'une force arabe
rassemblant dix pays arabes sunnites à l'initiative de l'Egypte et
sous le leadership de l'Arabie, les déclarations en mars 2015, de
Netanyahu concernant le vote des Arabes israéliens, l'expansion des
métastases d'Al Quaeda et d'ISIS/ISL/DAECH en Lybie et en Afrique du
Nord, l'exode vers la Syrie ou les territoires contrôlés par l'ISIS
des plus radicaux parmi les jeunes musulmans occidentaux. Ces
événements sont-ils les signes avant-coureurs d'une victoire finale
du monothéisme ? Ou, à l'inverse, ceux de la fin de ce qui à
l'échelle de l'histoire de l'espèce humaine – quelque trois
millions d'années - n'aurait été qu'une courte parenthèse ?
Dès la fin de 2014, il devenait
évident que la Chine est en voie de dépasser les USA pour le volume
de la production industrielle et des exportation, si ce n'est déjà
le cas. Elle serait déjà devenue la première puissance avec
plus de 4000 milliards de dollars d'échange en 2013, en terme de PPA
(parité pouvoir d'achat) en 2014 avec 16,5 % contre 16,3 pour les
USA, et atteindrait 26, 800 milliards de dollars contre 22, 0000 pour
les USA en terme de "richesse nationale" en 20191.
Mais, s'il restait encore des doutes,
les progrès en 2015 du vaste projet d'équipement de l'Asie centrale
et de l'Ouest (Pakistan, Afghanistan) en infrastructures,
ferroviaires, routières, pétrolières, reliant la Chine à l'Europe, et surtout la décision de plusieurs pays européens de se
joindre, malgré les pressions des USA, aux membres fondateurs d'une
banque internationale (AIIB : Asian Infrastructure Investment Bank)
destinée à financer ces équipements dont le siège serait à Pékin
et le capital de départ (50 milliards de $) fourni par la Chine,
semble ouvrir la perspective d'un XXI e siècle eurasiatique dont le moteur serait la Chine.
Par ailleurs des signes apparaissent d'une réactivation - renaissance ? réaction ? réforme ? - des religions traditionnelles de l'Asie de l'Est en réponse aux défis des religions monothéistes, le christianisme et l'islam : victoire en Inde d'un
nationaliste hindou, n'appartenant pas aux castes supérieures ; résistance du Myanmar aux pressions occidentales visant à faire
accorder la nationalité birmane aux descendants d'immigrés
bengalis, les musulmans dits "rohingya" ; entame en Chine d'une politique
de réactivation des Trois religions traditionnelles – taoïsme,
confucianisme et bouddhisme – et de l'idéologie du "San jiao, Yi jiao" suivant laquelle ces trois religions n'en font en réalité qu'une.
Par ailleurs l'Inde soucieuse de ne pas s'assujettir exclusivement au bloc occidental et de maintenir ouverte les voies de navigation en Mer de Chine et dans le Pacifique, fait pivoter sa politique étrangère - jusque-là polarisée vers l'Ouest par le Pakistan et l'Occident (Commonwealth) - vers l'Asie de l'Est. Dans le cadre de ses relations avec la Birmanie, le Laos, le Cambodge, le Vietnam, la Corée et le Japon, et même la Chine, l'Inde ne manque pas une occasion de rappeler à ces pays qu'elle est la mère d'une composante importante de leur culture, le bouddhisme.
Le Sri Lanka est avec la Birmanie et potentiellement la Thaïlande, au centre d'un projet de bloc bouddhiste théravada, bénéficiant sans doute de la sympathie de la Chine, et auquel ne manquerait que le Cambodge et le Laos nominalement communistes.
Le Sri Lanka est avec la Birmanie et potentiellement la Thaïlande, au centre d'un projet de bloc bouddhiste théravada, bénéficiant sans doute de la sympathie de la Chine, et auquel ne manquerait que le Cambodge et le Laos nominalement communistes.
L'Église catholique, partageant
certaines valeurs – la charité/compassion – et certaines
institutions – le monachisme - avec le bouddhisme, malgré la crise
qu'elle connaît en Occident, en Europe surtout depuis plusieurs
décennies, se maintient en Amérique latine et progresse en Afrique
et en Asie.
De ce tableau émerge la perspective
d'un avenir économique mais aussi culturel dominé par l'Asie de
l'Est et la Chine particulièrement, ainsi que par l'Inde malgré
l'inconnue d'une Asie du Sud où, au Bangladesh, en Malaisie et en
Indonésie, se disputent comme ailleurs dans le Dar al Islam, les
tendances conservatrices, démocratiques et islamistes.
Une dominance de l 'Asie orientale et
de l'Inde dans l'économie du XXI e siècle pourrait-elle aussi coïncider avec un retour du "refoulé polythéiste" ?
A l'échelle de l'histoire de
l'humanité, quelque trois millions d'années au moins, le
monothéisme contemporain d'après la/les définitions qu'il se donne
– un seul Dieu révélé à Abraham et à une série de prophètes,
tous sémites - représente un phénomène récent et surtout de très
courte durée, quelque trois-mille ans au plus depuis ses origines encore
débattues, 2000 ans depuis qu'il s'est affirmé universellement avec
les victoires successives du christianisme puis de l'islam. En effet
si les traces écrites des croyances, comportements et rituels
religieux n'apparaissent pas avant le quatrième millénaire AEC,
ce qui couvre donc les six derniers millénaires, elles ne font que
couronner une centaine de millier d'années où la maîtrise du feu,
la sépulture des défunts, la peinture rupestre et les arts
monumentaux les plus anciens (mégalithes) représentent les seules
traces de comportements éventuellement liés à ce que nous appelons
"religion".
Ce n'est d'ailleurs pas le moindre paradoxe de l'histoire des deux derniers millénaires qu'une idéologie religieuse somme toute, malgré sa prétention à la rationalité, assez rudimentaire, et par certains aspects aussi anthropomorphique que les polythéismes qu'elle prétend remplacer : un seul Dieu, mais mâle ou masculin, ce qui est une caractéristique sexuelle - étrange pour un pur esprit - et des interdits alimentaires qui apparentent le monothéisme juif aux animismes les plus primitifs. Sans doute au cours de cette courte
durée, deux millénaires, le monothéisme a-t-il joué un rôle
décisif dans l'intégration de la planète, proportionnel au potentiel mobilisateur de sa vision du réel, d'un simplisme hypnotique. Mais alors que la
dialectique conflictuelle entre les trois branches de l'arbre
abrahamique a sans doute été le moteur principal de la créations
des routes d'exploration du monde (Voir Henri Pirenne, Mohammed et Charlemagne) et de désenclavement de l'Extrême
Orient – Chine, Japon, Corée, Vietnam, Indochine – il est loin
d'avoir réussi à unifier notre monde. Au contraire, nous sommes
obligés de constater que c'est là où il est arrivé à imposer son
idéologie religieuse que précisément se prolongent des conflits
qui semblent ne pas devoir connaître de fin et risquent de nous
entraîner vers une apocalypse qui pourrait être terminale. La question qui se pose maintenant de manière urgente est la suivante : voulons-nous un seul Dieu - et dans ce cas lequel ? Celui des Juifs, celui des chrétiens ou celui de l'islam ? - ou voulons-nous un seul monde ?
D'après une recherche du Pew Research
Center2, les monothéistes – juifs, chrétiens et musulmans – représentent
quelque 3,5 milliards d'humains, dont 1,5 milliard de musulmans, sur
une population mondiale de presque 7 milliards.
Sur les 3,5 milliards restant, la Chine et l'Inde, où la majorité adhère encore à des "religions"
et/ou philosophies que les traditions monothéistes considèrent,
techniquement parlant, comme polythéistes, au mieux, représentent quelque 3 milliards, les animistes, agnostiques et athées constituant les 500 millions restant .
Cependant les religions/philosophies orientales manifestant une remarquable
capacité d'adaptation et de renouvellement, il est peu probable
qu'elles disparaissent. Au contraires certaines de leurs pratiques se
répandent en Occident et dans le monde – méditation, yoga,
taichi, kung fu – véhiculant certaines des valeurs que ces
pratiques véhiculent.
Enfin la qualité de monothéisme est parfois refusée au christianisme par les deux branches les plus radicales du monothéisme. Et les relations entre chrétiens et bouddhistes sont plus faciles, les mariages plus fréquents, que celles des uns et des autres avec les musulmans, ou les hindous de castes par exemple.
Enfin la qualité de monothéisme est parfois refusée au christianisme par les deux branches les plus radicales du monothéisme. Et les relations entre chrétiens et bouddhistes sont plus faciles, les mariages plus fréquents, que celles des uns et des autres avec les musulmans, ou les hindous de castes par exemple.
Peut-on imaginer qu'une majorité de
5,5 millards de non-musulmans, dont 3 milliards de "polythéistes",
laisseront une minorité de 1,5 milliard de musulmans, fer de lance
du monothéisme, précipiter une apocalypse qui pourrait mettre fin
à l'aventure humaine ?
Nous pouvons nous demander en effet si les
monothéismes sémitiques, après avoir joué un rôle déterminant
dans l'émergence d'une société globale, ayant accompli leur
"destinée manifeste", n'ont pas atteint la limite de leur
justification.
Les signes abondent d'une réactivation
des religions/philosophies antérieures à la vague monothéiste.
Bénéficiant des techniques et voies de communication modernes, ces
religions/philosophies se re-définissent et passent à des
stratégies plus actives et moins défensives. La première de ces
religions à avoir pris une dimension universelle fut certainement le
bouddhisme qui, après une première vague d'expansion vers l'Asie de
l'Est et du Sud-Est dès le tournant de l'ère commune, a commençé
à se propager en dehors de sa zone d'implantation originelle. La Chine et l'Inde, ayant brisé le cercle
vicieux du sous-développement, reprennent conscience de la valeur
universelle de leurs traditions philosophiques, morales et
religieuses. La Chine cherche depuis une vingtaine d'année déjà à
restaurer et propager les valeurs du confucianisme. Tout récemment
elle a commencé d'utiliser sa très ancienne et très originale
tradition bouddhiste afin d'affirmer son "soft power".
Quant à l'Inde, malgré la permanence des structures de castes,
préjudiciable à son développement, le prestige de certaines
pratiques psychagogiques indiennes – le yoga – n'a pas attendu
pour se diffuser que l'état indien, sur l'initiative du Premier
ministre indien Narendra Modi, les promeuve officiellement,
aboutissant (11 décembre 2014) à la désignation du Solstice d'été
(21 juin) comme Journée internationale annuelle du Yoga.
Réactivation
récente du bouddhisme chinois
Que ce
soit par méconnaissance du monde extérieur, ignorance de la
structure de la demande de ce monde en matière culturelle et
religieuse, ou par crainte de laisser libre cours aux agents
traditionnels de la religiosité en Chine, coupables aux yeux d'une
partie du PC d'avoir entretenu les superstitions responsables de la
décadence des Qing et de l'état de vulnérabilité dans lequel ils
laissèrent le pays face aux entreprises des puissances occidentales au XIX e siècle, la Chine communiste avait jusqu'à la dernière décennie du XX e siècle, étroitement contrôlé les représentants de ses religions
traditionnelles, négligeant ainsi la ressource importante qu'elles
auraient pu représenter pour la promotion de son influence
culturelle (soft power).
C'est
seulement à partir des années 1980 que renaît l'intérêt pour la
doctrine morale de Maître Kong et à partir de 2004 que, dans le
cadre de la promotion de son influence culturelle, la Chine commence
à créer un peu partout dans le monde ses maintenant fameux
"Instituts Confucius". Il y en a à présent 316 dans 94
pays.
Mais
la Chine devait se rendre compte assez rapidement que le
confucianisme était trop chinois pour être exporté, alors que le
bouddhisme venu d'Inde par l'Asie centrale – et peut-être par le
Vietnam – après avoir pendant 1 500 ans exercé une influence
considérable sur la civilisation chinoise, avait aussi donné
naissance à une variante typiquement chinoise de la doctrine de
l'Éveillé. Cette variante du bouddhisme, profondément
modifiée, métissée de taoïsme et de confucianisme – sinisée –
en se répandant dans toute l'Asie de l'Est avait déjà représenté
pendant quinze siècles un outil majeur de son influence culturelle,
de son soft power. C'est aussi ce bouddhisme "chinois"
qui s'était dès la moitié du XX e siècle, plus d'un millénaire
plus tard, répandu en Occident sous ses formes japonaise (zen),
vietnamienne (Thich Nhat Hanh)
ou coréenne.
Dès
2002, peu de temps après l'attaque du 11 septembre, réalisant sans
doute que cet "opium du peuple" que peut représenter la
religion, fait aussi partie du DNA de l'espèce et peut lui être
indispensable dès qu'il mange à sa faim et a le loisir de
s'interroger sur ses "fins dernières", afin aussi sans doute de répondre aux défis de l'islam et de l'islamisme ainsi que
des organisations chrétiennes, le gouvernement chinois avait déjà
laissé plus de latitude à l'Association bouddhiste de Chine
(ABC3).
A partir de 2005, cette latitude fut encore élargie : l'ABC
fut autorisée à établir des contacts avec les lignages monastiques de Taiwan, ainsi qu'avec les organisations bouddhistes
internationales.
*
On ne peut échapper au sentiment que
notre espèce se trouve à une croisée des chemins, non seulement du
point de vue économique mais aussi de celui des "mythes
eschatologiques" qui furent ses moteurs au cours des deux
derniers millénaires. L'énergie libérée par le monothéisme à
partir de la christianisation de l'Empire romain et du surgissement
de l'islam au Moyen-Orient - énergie qui fut un facteur majeur dans
l'intégration progressive des différentes régions du monde,
processus bien plus ancien que ce qu'on appelle de nos jours
"mondialisation" ou "globalisation" qui n'en sont
que la précipitation contemporaine - ne va-elle pas affronter, parallèlement à l'économie, un reflux qui pourrait redéfinir le statut des
religions et groupes identitaires qui s'en réclament. Autrement dit,
le "centre" se déplaçant vers deux régions globales où
règne encore, depuis "la nuit des temps", une myriade
d'entités animistes, ainsi que le pluralisme des sectes et religions
polythéistes et agnostiques (hindouisme, confucianisme, bouddhisme)
mais aussi la multitude des identités et pratiques animistes, dont
la mieux articulée reste sans doute le taoïsme - qui connaît une
remarquable renaissance en Chine et en Asie de l'Est - . qu'elles
soient endogamiques comme en Inde, ou étrangères à toute
endogamie, comme en Chine. Dans un monde redevenu multipolaire, où l'Occident doit déjà accepter de devenir un des acteurs parmi
d'autres d'une modernité re-définie, les religions monothéistes ne
vont-elles devoir accepter d'être des religions – des sectes ? -
comme les autres, parmi les autres.
Une telle évolution contredirait
évidemment les projections du Pew Research Center supposant
que si les 52 % de Chinois "sans religion" se
convertissaient à l'une ou l'autre forme de christianisme – ce qui
peut sembler un autre exemple de ce "wishful thinking " (qui nous fait prendre nos désirs pour des réalités, voire des "vessies pour des lanternes") souvent caractéristique de la pensée politique américaine – cela
porterait à "734 millions le nombre de chrétiens en Chine d'ici
2050":
And if everyone who is currently unaffiliated in China were to convert to Christianity by 2050, China’s population would be 56.2% Christian (734 million Christians), raising the Christian share of the world’s population to 38.5% and lowering the unaffiliated share of the global population to 6.1%. Though that scenario may be unlikely, it offers a rough sense of how much difference religious switching in China maximally could have by 2050. Extremely rapid growth of Christianity in China could maintain or, conceivably, even increase Christianity’s current numerical advantage as the world’s largest religion, and it could significantly accelerate the projected decline by 2050 in the share of the global population that is religiously unaffiliated4.
1 http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2014/12/08/20002-20141208ARTFIG00199-la-chine-devient-la-premiere-puissance-economique-mondiale.php?a1=DOL-157729&a3=77-3486617&a4=DOL-157729-77-3486617
2 The
Future of World Religions, Pew Research Center, April 2, 2015.
3 Buddhist
Association of China : BAC
4 The
Future of World Religions: Population Growth Projections,
2010-2050, Pew Research Center, April 2, 2015, pp. 55-57.
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