3. Hypnose et religion

Les mots "hypnose, suggestion, auto-suggestion" ont encore mauvaise presse dans certains milieux scientifiques ainsi que dans une partie du grand public. Après avoir été utilisée, puis abandonnée par Freud, l'hypnose est pourtant, depuis une décennie ou deux remise à l'honneur en thérapie. Par la parole, le verbe, les symboles, les images, elle vise à créer des "ambiances" favorables à la modification des attitudes et des comportements. 

Car si le mot a mauvaise presse, la réalité - cette disposition à la suggestibilité, présente à différents degrés chez tous les humains et sans doute chez certains animaux - a toujours été exploitée par les pouvoirs politiques et religieux , les États, les Églises, et de nos jours les partis politiques et les agences publicitaires.

Sont également à rattacher à ce type de phénomène l'attraction et l'effet relaxant exercés sur les enfants par tout ce qui est conte, récit, histoire, et sur certains adultes par la lecture de romans, où la plongée dans les salles obscures pour s'y abstraire pendant deux heures des soucis qui forment la trame de nos vies quotidiennes et en sortir dans un état parfois second, confinant à la clairvoyance, de l'aveu de beaucoup de cinéphiles.   

Si les institutions religieuses sont pour la plupart hostiles à la théorie de l'hypnose, c'est qu'elles sont elles-mêmes toutes fondées justement sur cette étrange disposition, des couches les plus profondes de la conscience humaine, et peut-être même de celle de certains animaux,  à être impressionnées par la répétition et la brillance, les symboles et les slogans ou les "mantras", que ce soit la croix, le croissant, la pleine lune, l'étoile ou des formules aussi diverses que "Amen", "Alleluia", Dieu est amour, Ôm, Namo Amida Butsu, Allah Ouakbar etc. en association avec des mythes, des histoires, rassurantes ou flatteuses.  L'efficacité  de ces formules repose sur leur capacité d'interrompre la pensée discursive où s'inscrivent nos projets, soucis, regrets, remords, craintes et terreurs – dont en premier celle de la mort –  de nous permettre de nous en distancier, de nous en distraire, assez longtemps pour remettre en perspective et éventuellement trouver une issue à ces affects perturbateurs. Les religions furent sans doute les premières, bien avant les instances de propagande et les agences publicitaires, à découvrir et à exploiter la puissance de la suggestion. Elles ont longtemps tenté de s'en réserver le monopole, en lui donnant une signification surnaturelle, inséparable de leurs conceptions respectives de la divinité ou du divin. Elles ont souvent, de gré ou de force, partagé ce monopole avec la force brute du pouvoir "temporel". Leur hostilité au dévoilement des mécanismes de l'hypnose est donc compréhensible, car ces mécanismes sont ceux-là mêmes qu'elles-mêmes mettent en oeuvre sciemment dans le chef de quelques uns, ou inconsciemment1 dans le chef même de ses clercs, eux-mêmes parfois agis, manipulés, par l'institution et son idéologie.

Une d'entre ces religions n'était au départ pas hostile à ce "dévoilement". Le bouddhisme a sans doute reconnu d'emblée le caractère "naturel" de cette disposition à la suggestibilité. Le Bouddha, comme Épicure, n'ont pas nié que les dieux indiens ou grecs n'étaient que des symboles, des "médecines" pour l'âme, des ruses sinon des trucs "psycho-thérapeutiques". Et les lamas tibétains ont régulièrement affirmé que les divinités, leurs icônes, et les mantras ne sont que des outils destinés à atteindre un objectif posé comme avantageux. Ils n'ont d'autre existence ou efficacité que mentale. Rien d'essentiel ou de miraculeux dans ces formules ou ces icônes que l'étonnante capacité de nos esprits à en être profondément affectés au point que le fond de réalité subjective sur lequel nous déployons notre activité en soit réellement modifié, pour le mieux, dans le sens de la survie que ce soit de l'individu,  du groupe ou de l'espèce.

Avec l'apparition des démocraties, les mouvements politiques ont également largement utilisé cette disposition des individus, des groupes d'individus et des foules à être affectés par les images les symboles et les slogans.

Enfin les firmes publicitaires en usent également largement, pour le meilleur et pour le pire que ce soit par les logos ou les formules publicitaires d'autant plus efficaces qu'elles sont simples, lapidaires, incantatoires.

Plus la formule et le symbole sont simples, nous épargnant l'effort de la réflexion et de la critique, plus ils sont rassurants et efficaces. Ils seront d'autant plus puissants que leurs gestionnaires – Églises, Umma, peuples, nations, États, entreprises – auront les moyens de créer un lien de dépendance psychologique, affective – culpabilité - matérielle ou financière en assumant les traits de la protection paternelle ou maternelle.

Le génie de Mahomet fut sans doute de comprendre cela. Mahomet fut-il d'abord, surtout, uniquement, un publiciste génial ? Plus c'est simple, mieux cela marche : un seul dieu, un symbole – le croissant, figure du sabre – simple, élégant, et "hypnotique", une seule nation – la nation de l'islam – destinée à conquérir le monde, un seul état, l'Oumma musulmane ; il y a ajouta un conservatisme profond sacralisant la structure tribale et clanique de la société arabe et un conformisme non moins profond soumettant l'individu à son clan et à l'Oumma musulmane, simple hypostase du clan endogamique arabe . Si la sanction pour qui oserait chercher à échapper à cette structure simplissime est la mort, elle épargne aussi à l'individu les affres du choix, du doute, et de la responsabilité, tout en l'assurant du pardon de toute faute ainsi que de sa supériorité essentielle sur infidèles, tant que la foi elle-même n'est pas remise en question, 

Car cette suggestibilité est polyvalente. Elle peut être affectée d'un nombre très grand de nuances d'utilité ou de nocivité morale et sociale relative. On peut l'utiliser d'abord aux fins de ce formatage élémentaire de l'individu qui lui permet de survivre dans une société donnée – c'est ce que fait tout système éducatif - comme dans une phase ultérieure afin de libérer des individus de ces mêmes "engrammes" laissés par les formatages premiers, lorsqu'ils empêchent les individus de poursuivre leur intérêts objectifs ou ceux d'une autre société. On peut aussi l'utiliser dans la poursuite de projets criminels à petite ou à grande échelle. Cette capacité peut donc être utilisée tant à des fins de libération qu'à des fins de sujétion ou d'aliénation des individus. Les organisations religieuses et les grandes marques commerciales chercheront souvent à fidéliser plutôt qu'informer. Certaines écoles bouddhistes, ainsi que la psychanalyse et les psychothérapies fondées sur l'hypnose ont prétendu utiliser cette même disposition afin de libérer l'individu des croyances empêchant son accès à l'autonomie, même si elles ne le font pas toujours ou ne le font parfois qu'au prix d'une autre aliénation, le fameux transfert en psychanalyse.

Les symboles et slogans agissant sur notre esprit sont mobilisateurs. Que ce soit Allah Ouakhbar – Notre Dieu est le plus grand - clamé du haut des minarets depuis 1400 ans - ou le Deutschland Uber Alles des nazis qui mobilisa tout un peuple pourtant parmi les plus avancés. L'idée simpliste, à certains égards "religieuse", d'une "société sans classe" n'a-t-elle pas réussi à mobiliser une grande partie de l'humanité pendant plusieurs décennies, pour aboutir parfois à la création de nouvelles élites parfois aussi corrompues, cyniques et impitoyables que celles qu'elles avaient renversées ?

Ces outils que sont les symboles, les slogans, les "mantras", tant qu'ils n'appellent pas explicitement à la violence ou ne violent pas notre capacité à raisonner et à choisir, sont cependant légitimes et d'ailleurs indispensables et souvent inévitables ; c'est notre nature animale et humaine qui nous y rend réceptifs.

Les actes barbares perpétrés de nos jours par l'ISIS/ISIL/DAECH au nom d'un retour à l'islam des origines et à l'application littérale de sa loi ne sont que la triste illustration du fait que les exploitations de cette disposition, les utilisations de l'hypnose, peuvent aussi être criminelles, sanguinaires et génocidaires...


1 Pour une analyse approfondie des mécanismes de l'hypnose et de la suggestibilité lire : L'âge des foules, de Serge Moscovici (Fayard, 1981 ; Editions Complexe 1985).

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