6 . La morale des sociétés segmentaires

Questions de morale


Le contenu de cette "page" est surtout inspiré des ouvrages de Jean Soler, La Loi de Moïse  (Editions de Fallois, 2003et L'invention du monothéisme (Hachette, 2003). Les passages entre guillements, avec indication de la page entre parenthèses, en sont textuellement tirés. Les références aux quelques citations provenant d'autres ouvrages sont explicitement mentionnées entre parenthèses ou en note de bas de page.

A propos de la traduction de la Bible de Jean Soler, Jean Perrot, chercheur au CNRS et ancien directeur de la Mission archéologique française en Israël et en Iran invitait à ne pas y voir "une traduction de plus 'inspirée par la tradition vivante' de quelque Eglise ... [mais] au pied de la lettre ... une version débarassée d'interprétation confessionnelles et qui fait dire à la Bible ce qu'elle a dit réellement au premier stade de sa rédaction."

*

L'Ancien Testament constitue sans doute un des premiers documents écrits à nous laisse des informations sur la morale segmentaire ou clanique ancienne. Avant de prendre des formes variées en fonction de ses différents contextes diasporiques la structure du clan hébreux telle qu'à l'époque d'Abraham était semblable à celle du clan arabe.

*

Quelques repaires historiques et terminologiques :

Le Premier Temple (de Salomon) construit au X -IX e AEC est détruit en 587 par Nabuchodonosor roi de Babylone

Le Second Temple sera bâti au retour de la captivité de Babylone en 516 AEC. Le culte est centralisé à Jérusalem sous l'autorité des Cohanim ou Lévi.
Tora mise sur papier à l'époque de Platon et Aristote (IV e) traduite en grec au IIIe AEC (Soler, p 208).

Le Second Temple est rénové par Hérode en 19 AD

Il sera détruit par Rome en 70 AD. Les Juifs sont dispersés dans tout l'Empire romain. On ne parle désormais plus d'Hébreux mais de Juifs, concept surtout religieux car il n'y a plus de territoire national. La religion portera le nom de judaïsme (rabbinique ou talmudique).

*


La société hébraïque originelle a toutes les caractéristiques essentielles des sociétés segmentaires. Quoi que dise Emmanuel Todd (La diversité du monde, Seuil, 1983-1999, p. 269) qui classe les Juifs, avec les Allemands et l'Europe du Nord, dans la catégorie "famille autoritaire inégalitaire", la structure sociale des Hébreux est bien segmentaire, endogame, et au départ égalitaire, ce qui la classe avec les Arabes et les Pachtounes dans la catégorie "famille communautaire", endogame, avec préférence pour un conjoint patrilatéral. Abraham retourna en Mésopotamie pour y chercher sa cousine parallèle Sarah, fille du frère de son père. Mais il est vrai que le contexte diasporique altéra et relâcha cette structure de différentes manières au point que, si 98 % des Juifs orthodoxes ainsi que les Sépharades et les Conservateurs (Masorti) pratiquent encore l'endogamie religieuse1.


En Israël, plus ou moins 50 % des Habbani et des Samaritains pratiquent encore le mariage entre cousins2.

Il partage également avec le clan arabe et tous les clans sémites l'égalitarisme horizontal (des frères); tous les frères sont égaux et héritent d'une part égale : "Du point de vue des relations (horizontales) entre 'frères' – ... - ce qui prévaut, au rebours, est l'absence de hiérarchie." (Jean Soler, La loi de Moïse, Ed. De Fallois, Paris, 2003, p. 80).

L'institution monarchique est présentée comme une innovation d'origine étrangère et de nature pernicieuse (ibidem). Samuel "accueille très mal cette requête" qu'il interprète comme rejet de la 'royauté de Iahve' (1 S, 8, 4-7). Cependant "Ils peuvent envisager de se donner des chefs ... - des hommes choisis en fonction des circonstances et sans pouvoir héréditaire -, mais [comme les Arabes] ils se considèrent entre eux comme des 'frères', des égaux (op.cit., p. 105).

Car, comme dans la société arabe, si on admet le rôle ponctuelle de la force physique, économique ou d'influence "il n'est pas prévu, dans l'ordonnancement théorique de la société hébraïque, une classe permanente d'Israélites de rang inférieur" (op.cit., p. 104).


L'éthique des premiers hébreux est typiquement celle de nomades, pour lesquels "le bien" se définit d'abord sinon uniquement comme le bien du clan ou de la tribu.

Ces définitions n'ont pas de prétention à une quelconque portée humaniste universelle. Ainsi (op.cit., p. 21) "hérem" – haram en arabe - " couramment traduit par "interdit" signifie, d'après Soler, ce qui n'est pas hébreux, et parmi les Hébreux ce qui contrevient à l'orthodoxie et à la praxie. L'altérité, la "différence" équivaut au mal radical. Nous sommes donc, aux antipodes de la pensée de Socrate (p. 22) pour qui "Nul n'est méchant volontairement" (cité à plusieurs reprises par Platon). Dans le contexte absolument dualiste de la morale clanique le seul moyen de combattre le mal est de l'éradiquer complètement afin d'éviter toute "contamination".

Quant aux Dix lois du décalogue elles ne représentaient en rien un code de morale universelle pour les Hébreux anciens. C'est le christianisme qui leur donna une portée universelle. Pour les Hébreux, les goyims, il est permis de leur mentir, de les tromper, de les voler, de les tuer (p. 74 et p. 38) :

" Lorsque Yahve, ton Elohim t'aura conduit au pays qu'il a juré à tes pères ... de te donner, avec des villes grandes et prospères que tu n'as pas bâties ... des maisons pleines de tous biens que tu n'as pas remplies ... des puits que tu n'as creusés ... des vignes et des oliviers que tu n'as pas plantés ... garde-toi d'oublier Iahve qui t'a fait sortir d'Egypte, de la maison des esclaves" (Deut. 6, 10-13 : ).

"Les peuples qui occupent le pays ... constituent pour le peuple hébreux qui va les envahir et doit les 'chasser' (Ex 34, 11) un piège (Ibid. V 12). Il ne faut pas pactiser avec eux. "

Cela rappelle l'attitude vis-à-vis des infidèles prescrite aux musulmans par le Coran. La tradition rabbinique interdit aux Juifs le vin des non-juifs non tellement parce qu'il aurait pu être offert à une idole mais pour empêcher toute convivialité avec des non-Juifs.

Rapine et meurtre sont justifiés dès qu'ils servent les intérêts du peuple de Iahve :

"Je ferai gagner à ce peuple la faveur des Egyptiens et, quand vous partirez, vous ne partirez pas les mains vides. Chaque femme empruntera à sa voisine et à l'hôtesse de sa maison des objets d'argent, des objets d'or et des vêtements. ... vous en dépouillerez les Egyptiens" (Ex 3, 21-22; 11,2 ; 12, 35-36 cité par J.Soler, op.cit., pp p. 71-72).

Faut-il aimer son prochain ?

Mais d'abord qui est le prochain ? Pour les anciens Juifs le prochain (réa) ne peut être qu'un autre juif. Nulle question d'humanisme. Au départ pour les Hébreux les "prochains" sont les "proches", c'est-à-dire les membres d'un même clan. Les Juifs qui ont écrit l'Ancien Testament n'ont d'autre préoccupation que de "fédérer aussi étroitement que possible, quelques tribus indépendantes qui se reconnaissaient un ancêtre commun, Jacob dit Israël (p. 69)". De même la religion ancienne est assez différente de la religion rabbinbique. Guère pacifique non plus, ce dieu : la violence est tout à fait légitime et parfois recommandée contre les goyim.

"Ce qui fausse la compréhension de ces textes, c'est l'interpétation qu'en a donnée le christianisme, qui a fait subir à la notion de frère-compagnon-compatriote une mutation de sens pour qu'elle désigne l'homme en général, le 'prochain' – le 'frère humain', comme écrivait Villon – et qui a mis l''amour' au centre de sa foi. Pour ne pas être en reste, en des temps où l'universel était bien coté, des Juifs ont soutenu que la Loi de Moïse prônait l'amour fraternel entre tous les hommes. (p. 108)"

Freud (p. 109) l'a rappelé dans Malaise dans la civilisation (PUF, 1929, p. 53 et 63) : pour lui cette "conception éthique ... est un héritage de la religion chrétienne" :

'Parmi les exigences idéales de la société civilisée, il en est une qui peut ... nous mettre sur la voie. 'Tu aimeras to prochain comme toi-même' ... Pourquoi serait-ce là notre devoir ? ... Si j'aime un autre être, il doit le mériter à un titre quelconque ... il serait injuste à leur égard [les miens] d'accorder à un étranger la même faveur ... Il est un second commandement qui qui me paraît plus inconcevable et déchaîne en moi une révolte plus vive encore. 'Aime tes ennemis', nous dit-il". [Sermon sur la montagne]. Manifestation commente Jean Soler (op.cit. p. 110) de la " 'révolte' d'un Juif athée qui ... porte un regard critique sur la très catholique Autriche où il vit. Il rejette des idéaux qui sont à ses yeux illusoires ou hypocrites, car l'homme n'est pas né bon ...".

Autre exemple cité par Soler (p. 110), l'écrivain américain Paul Auster pour qui : "le judaïsme ... propose des codes permettant une vie non pas idéaliste mais réaliste. La règle d'or du christianisme est la suivante : ' Faites aux autres ce que vous voulez qu'ils vous fassent.' Le juda¨pour sa part dit : 'Ne faites pas aux autres ce que vous ne voulez pas qu'ils vous fassent.' C'est fondamentalement différent".

De la même manière, le Coran est "réaliste" au point d'être injuste à l'égard de tout ce qui n'est pas musulman et de défendre l'idée de "la force fait le droit". Il prend la nature telle qu'elle est et cherche à l'utiliser dans l'intérêt exclusif de l'islam et des musulmans. A la décharge de la religion sémite Soler commente : "c'est n'aimer personne que de prétendre aimer tout le monde. L' ami du genre humain' comme Alceste appelle Philinte dans le Misanthrope, n'éveille-t-il pas nos soupçons ?"

Je serais moins indulgent que Soler. La morale ne consiste pas à accepter la nature humaine et sociale dans toute sa brutalité ; elle consiste justement à créer une "nouvelle nature", un "homme nouveau" de manière à en diminuer les expériences pénibles et aménager la vie en société. C'est le propre même du processus de civilisation. Et c'est probablement ce que voulait dire le Christ dans le Sermon sur la montagne " Vous avez entendu qu'il a été dit : 'tu aimeras ton prochain comme toi-même et tu haïras to ennemi.' Et bien ! Moi je vous dis : 'Aimez vos ennemis et priez pour vos persécuteurs ... ' (Mt 5, 43-45)". Si vous n'aimez que vos proches et vos amis, "que faites-vous d'extraordinaire ?" continue-il. En quoi êtes-vous différents des païens et des publicains ? On pourrait même dire : en quoi un tel réalisme moral diffère-t-il de l'éthos des animaux domestiques ou des bêtes sauvages ? Cette démarche peut-être rapprochée de celle de la méditation bouddhiste metabhavana fournissant t comme moyen de réduire la colère et la haine d'imaginer ces circonstances relatives qui ont donné à la personne objet de la haine les caractéristiques détestées, permettant ainsi par une dé-réification de la notion de "soi" - les "sois" individuels n'étant que des modulations circonstancielles, contextuelles, d'un phénomène identique - l'identification à cette personne détestée . Quelles circonstances, dont elle n'est pas nécessairement l'unique responsable, l'ont-elles menées à être aussi "détestable" ?

Dans le même esprit Richard F. Gombrich (How Buddhism began, New Delhi, Munshiram Manoharlal, 1996-1997, pp. 62-63) interprétant le Piya Sutta (DN, 3) poursuit le syllogisme : chacun de nous est semblable en ce qu'il s'aime soi-même au delà de tout et cherche à éviter la souffrance. Nous devrions donc éviter de nuire à nos semblables : "one who loves self should not harm others"(DN, 3). Ce qui revient à la formule lapidaire de l'Evangile (Marc, 12, 31) : "Aime ton prochain comme toi-même".

Tout ceci renforce ma conviction que, si historiquement, diachroniquement, judaïsme, christianisme et islam découlent indubitablement de la même source, structurellement ou synchroniquement le christianisme a plus d'affinité avec le bouddhisme qu'avec les deux autres religions monothéistes. La compassion bouddhiste peut sembler "théorique" mais si le Loi de Moïse ou la Charia sont moins utopiques, peuvent-elle servir de modèle à une société globale ayant irréversiblement dépassé le stade clanique et tribal ?

La Chine d'ailleurs malgré une morale qui échelonne aussi le devoir de solidarité depuis les proches jusqu'à l'Etat en passant par "les amis et alliés" - qui peuvent d'ailleurs être choisis en dehors de la famille a aussi produit les philosophies humanistes et universalistes de Mencius et Mozi.

Les Chinois contemporains sont d'ailleurs conscients des divergences existant sur ce point entre confucianisme classique, école de Mencius et bouddhisme. Mais plutôt que d'en condamner une au profit de l'autre ils préfèrent garder présents à l'esprit le réel et l'idéal, le point de départ et le but visé.

Si le but de toute religion devrait être de "corriger" la nature humaine de manière à lui faire atteindre certains objectifs privés et collectifs, bouddhisme, christianisme et même néo-confucianisme remplissent mieux les conditions de "religion universelle" que l'islam.

Le prêt à intérêt

On sait que l'Ancien Testament comme le Coran condamnait le prêt contre intérêt. Détail souvent ignoré ou incompris, c'est entre juifs uniquement qu'il est interdit de prendre un intérêt : "Le dessein qu'avaient les Hébreux de s'élever au-dessus des autres nations (et qui pourrait le leur reprocher ? Les grands peuples n'ont été grands que parce qu'ils ont entretenus cette ambition) se serait mal accomodé d'une politique trop généreuse ... à l'égard des étrangers qui vivaient chez eux. On payait leur travail, on leur achetait des enfants pour en faire des esclaves, on n'allait pas en plus, leur prêter de l'argent sans intérêt !" (p. 104).

Le prêt sans intérêt dans l'islam pose la même question : dans l'état musulman gouverné par la charia les infidèles bénéficieraient-ils aussi du prêt sans intérêt ? On peut en douter !

Açabiya
Sur l'esprit de corps – açabiya en arabe - entre membres de toute société segmentaire, je cite ci-dessous textuellement certaines des remarques de Jean Soler dans son chapitre 12, "Unité nationale et cohésion sociale" :

"afin d'empêcher que le peuple ne se mélange aux autres peuples ... il lui est interdit de contracter avec eux des mariages ou des alliances politiques. De manière à rendre impossible, radicalement, toute tentation de ce genre, un commandement divin ordonne de massacrer tous les habitants, femmes, enfants et vieillards compris, des cités cananéennes dont on aura à s'emparer pour se substituer aux autochtones. Freud aurait pu ajouter ses ancêtres à la liste (op.cit. p. 110) qu'il donne des envahisseurs exterminateurs (Les Huns, les Mongols, etc.), pour prouver que l'homme n'est pas, face aux autres représentants de son espèce, un 'être débonnaire, au coeur assoiffé d'amour'. C'est par la violence également qu'a été obtenue, d'après la Bible, l'unification interne du peuple [comme le sera celle de l'Islam]. L'acte fondateur ... est le massacre des Israélites adorateurs du veau d'or ... 'Tous les fils de Lévi s'assemblèrent autour de lui', Ex. 32, 26. Ils s'arment et passent au fil de l'épée '3 000 hommes', v 28, sans épargner les parents les plus proches, qui un 'fils', qui un 'frère' (ah, au sens premier) v 27 et 29" (p. 112).



Les 613 commandements du judaïsme talmudique

A partir du moment où, le christianisme devient religion de l'Empire romain et où, deux siècles plus tard, l'islam se répand dans tout le Moyen Orient, le monde entier devient monothéiste et les Juifs se voient menacés de perdre la singularité qui les distinguait.

Saül de Tarse avait jugé que les préceptes de Moïse étaient un carcan devenu inutile ; Mohammed est allé plus loin encore en déclarant que Dieu ne voulait rien imposer de trop dur aux croyants. Afin de préserver leur identité dans ce contexte nouveau, les juifs prirent le chemin inverse en multipliant les règles. Juifs se ferment de plus en plus au fur, au moyen des 613 commandments talmudiques à mesure que le monde se monothéise : les règles relatives au sabbat se multiplient (p. 182-186), il est désormais interdit de mélanger viande et lait, ou fromage (p. 191), "le vin cachère [notion inconnue de la Bible] c'est un vin qui a été fait, du début à la fin, par des Juifs" dirait un oenologue israélien, vin "qui n'a pas été souillé par les mains de goyim" commente Soler (p. 199).

Les Juifs n'ont jamais accepté l'abolition des différences entre ethnies proclamées par les chrétiens pas plus qu'elles ne peuvent admettre la relativisation des différences entre espèces qu'implique la croyance en la ré-incarnation dans l'hindouisme et le bouddhisme, ou la théorie évolutionniste de Darwin: "Leur monde est ordonné au moyen de distinctions constitutives ... Elohim a créé les êtres vivants 'selon leurs espèces Gen 1, 24-25)' ... La Loi interdit de consommer des animaux hybrides, de croiser des animaux d'espèces différentes, de porter des vêtements mélangeant différentes fibres naturelles. L'Homme appartient à une autre catégorie que les animaux. L'humanité est constituée d'ethnies  comme le monde animal d'espèces différentes (Jean Soler, Invention, p. 185). Le mythe de Babel signifie le rejet instinctif des grandes villes par les premiers Hébreux à l'époque formatrice de leur éthos : les villes sont des lieux de perdition, c-à-d où se perdent les identités claniques. Pour y parer, Dieu leur Dieu crée la confusion en créant la multitude des langues (Idem, p. 186). Au 3e AEC déjà le Grec Hécatée d'Abdère évoque la "xénophobie" des Juifs (Idem, p. 187).  

Les 613 commandements du judaïsme talmudique ont donc pour but, dans un monde devenu monothéiste, d'empêcher toute fusion du peuple élu avec son environnement : "La religion des 613 commandements est dirigée largement contre la religion des 10 commandements, celle des chrétiens" (p. 205). C'est une "religion post-chrétienne" (un peu comme l'hindouïsme succédant au brahmanisme est une religion post-bouddhiste).

Pour le judaïsme le "salut" est affaire purement terrestre et collective. Il consiste en la survie du peuple juif et dans l'espoir "que se réalisera un jour la promesse faite aux ancêtres de devenir un grand peuple à la tête des nations ... Aucun verset de la Tora ... ne demande aux Juifs de faire connaître aux autres peuples le culte de leurs dieu. ... pas un des 613 commandements ne fixe aux Juifs cette prétendue mission (p. 204)".

Alors que la vague chrétienne risque de les submerger l'Apocalypse de Baruch (14, 19, cité par Soler, Invention, p. 205) se lamente qu'alors que le monde créé par Dieu pour les Juifs va continuer à exister, les Juifs sont en train de disparaître : "Le monde qui a été fait pour nous, subsiste. Et nous pour qui il a été fait, nous disparaissons". Soler résume ainsi le sentiment de ces Juifs du tournant de l'ère chrétienne, peu conscients que c'était aussi sur le modèle des grands dieux égyptiens, babyloniens et égytiens que leur propre dieu tribal, Iahve, était devenu le  Dieu unique des Juifs : "Voilà que des goyims, en nombre de plus en plus grand, s'appropriaient le Dieu des Juifs ! Jésus et Paul, ces traîtres ... avaient dénationalisé le dieu des ancêtres pour l'offrir à n'importe qui !" Après que leur dieu se soit nourri des dieux des voisins, il est à présent dévoré par ce nouveau venu qu'est le dieu des Nazaréens.

Les Juifs ont survécus à des siècles d'isolement et de persécution mais la médaille d'argent remise "Justes parmi les antions", goyims qui ont sauvé des Juifs de l'entreprise d'extermination des nazis porte une inscription en hébreu (Mishna, Talmud, Sanhédrin, 4-5) que le Grand Rabbin de France a traduit lors de sa remise en septembre 1999  "Celui qui sauve un homme sauve l'humanité".  Soler (Invention, p. 215), en donne la version originale de l'édition anglaise : "Whoever destroys a single Israelite soul is deemed by Scripture as if he had destroyed a whole world. Whoever saves a single Israelite soul is deemed as if he had saved a whole world".  

Autres ressemblances du judaïsme avec la culture arabe et l'islam

Le judaïsme n'est pas matriarcal, contrairement à ce qu'on entend parfois. La règle suivant laquelle on est juif par sa mère répond à cette paranoïa généralisée de la société juive à partir du moment où le monde étant devenu monothéiste, les juifs devaient pour conserver leur singularité, accumuler les signes et pratiques distinctives, pouvant aller jusqu'à l'obsession. Cette manie ira jusqu'à aménager les règles de reconnaissance de la judéité. Que le père soit ou ne soit pas juif "On sait toujours qui est la mère d'un enfant" (p. 330 note 10), ce qui réduit ainsi, en milieu désormais majoritairement "non-juif" les chances de "contamination".

Le judaïsme réformé cependant, vit naissance au 19 e siècle en Europe et se propagea aux USA. Il représente la majorité des Juifs à l'échelle mondiale et accepte les mariages mixtes ainsi que le principe de la transmission de la judéité par le père (en cas de mariage mixte où la mère est non-juive).

Pour les Hébreux le mari était propriétaire de sa femme, au même titre que d'un champs ou de bétail (p. 70). Il pouvait la répudier librement "tandis que l'inverse est impossible" (p. 218).

Terminons avec cette réflexion de Jean Soler : "Il faut n'avoir jamais quitté sa ville natale, comme Kant Koënigsberg, pour s'imaginer que les catégories mentales que l'on découvre dans sa tête sont universelles" (p. 268). C'est malheureusement cet ethnocentrisme aussi naïf et arrogant que celui de Kant qui nous a mené aux impasses que connaît actuellement l'idéologie multiculturalistes en Occident.

Complément bibliographique

Bottéro, Jean, La naisssance de Dieu, Gallimard, Folio, 1986-92
Soler Jean, L'Invention du monothéisme, Hachette, 2003
Idem, La violence monothéiste, Editions de Fallois, 2008


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire