4. Qu'est-ce qu'une religion ?

« Qu'est-ce que la religion ? Qu'est-ce qu'une religion ? »

Si je tente de répondre psychologiquement et phylogénétiquement à cette question, on peut d'abord voir dans le comportement religion l'expression dès les débuts de l'humanité – du langage et de la fonction symbolique – d'un sentiment complexe où entre certainement l'émerveillement devant un univers dont les individus se sentent en même temps partie et miroir, mais aussi la peur, voire la terreur devant certains phénomènes naturels, la crainte de la société et des autorités qui l'incarnent, à commencer par ses constituants élémentaires : famille, clan, tribu. Sans doute aussi de la découverte du pouvoir, de la magie des mots et de leur efficacité. Qu'il soit clair cependant que le concept ni le mot de « univers » pas plus que celui de « langage » ou même de « mot » n'existent à cette époque la lointaine de notre préhistoire dans le sens où nous l'entendons aujourd'hui. Le sentiment qui doit avoir alors prévalu est sans doute celui d'exister face à Quelque chose de vivant (animisme) qui me nourrit et auquel je retourne à la mort. Ce quelque chose correspondra sans doute plus tard au Cela (ça) de l'hindouisme des Oupanishad : « Tad tvam asi », tu es Cela ! C'est aussi sans doute ce « quelque chose », ce « ça » qui prit la forme des dieux dans les polythéismes divers puis de Dieu dans le monothéisme.

Si nous partons des individus, on peut considérer qu'une fonction essentielle des religions est de fournir à ces affects tant positifs – admiration, émerveillement, amour – que négatifs – crainte et terreur – une soupape de sûreté permettant de les canaliser et d'en prévenir les effets potentiellement destructeurs, que ce soit par les débordements d'enthousiasme ou par les excès de terreur, le protégeant soit de la folie, soit de la dépression et du suicide.

Si nous partons de la face ou du versant social des religions, elle représentent aussi les formes les plus élémentaires d'un système cognitif de représentation du réel. C'est à cette fonction des mythes que Lévi-Strauss s'est surtout attaché.

L'homme primitif, lieu originel de cet émerveillement et de ces terreurs n'est pas la monade, l'individu, tel que l'ont par après conçu l'Occident. Il est d'emblée inséparable de sa famille, de son clan, de sa tribu. Comme d'emblée, cet émerveillement, cette extase, qui surgit souvent à l'adolescence à la découverte du monde et de soi, s'accompagne de la crainte, de la certitude de la mort qui met fin à l'extase, afin de soulager cette crainte, l'homme va tenter de créer de l'espace pour ses projets, de faire reculer « le mur » existentiel de la mort qui bouche son horizon. Il va d'abord se projeter dans sa progéniture, sa famille, son clan.

La première religion aura sans doute été le culte des ancêtres, religion de la famille, du clan, de la tribu, s'accompagnant du devoir moral d'engendrer. Cette première strate de la conscience religieuse est encore bien vivace dans les animismes d'Afrique et d'Asie ainsi que dans le taoïsme et le confucianisme chinois mais on en retrouve encore trace dans les religions « ethniques » ou nationales comme le judaïsme, et même dans les deux grandes religions universelles que sont le christianisme et l'islam dans la mesure où le mariage et la procréation y sont toujours encouragés mais au bénéfice cette fois de la survie et de l'expansion non plus d'un lignage, clan ou tribu, mais de l'Église ou de l'Oumma musulmane.

Nous voyons donc que l'émotion religieuse individuelle est dès l'origine captée, [détournée, aliénée?] par le groupe : lignage, clan, tribu, nation, et plus tard religion transnationale organisée. D'abord sentiment privé, l'émotion religieuse très tôt devient facteur social et objet culturel. Représentée dans des symboles, formulations verbales (mantras), images diverses, elle va être encadrée par des stratégies suggestives et hypnotiques visant à conforter l'individu traversant les inévitables crises existentielles dans sa volonté de vivre et de survivre dans un ordre social donné dont il peut rarement s'échapper.

Religions, idéologies, projets de société ont sans doute beaucoup en commun. Dans un article consacré au score du parti écologiste belge aux élections législatives de 2014, un article du Vif l'Express1 attribue son recul à l'incapacité de ce parti à continuer de « faire rêver ». Pour désigner l'idéologie nationale américaine les politiques, démocrates comme républicains, utilisent régulièrement le terme de « American Dream ». Et le nouveau Président chinois a récemment repris l'expression au compte de la Chine en parlant de « Zhongguo Meng », le Rêve chinois.

Que sont d'autre ces « rêves » de reconnaissance finale du leadership de tel ou tel groupe humain, voire de tel clan ou lignage, de salut universel, de sociétés parfaites – Cité de Dieu, Ville parfaite (Ketumati) sur laquelle rayonnera Maitreya, Bouddha, non pas de la Fin des Temps, mais de la fin de ce kalpa, Paix universelle de Kant, Fin de l'Histoire de Hegel et Fukuyama, Lutte finale et Grand Soir des marxistes, État Universel – que des outils de mobilisation des individus et des groupes humains, clans, tribus, nations, sociétés, civilisations, Eglises et Oummas, Humanité – afin de leur faire oublier leur condition mortelle et de les encourager à poursuivre l'aventure commencée il y a, à notre échelle, très longtemps ?

Dans ce sens toute religion - depuis celle de l'animiste rendant hommage à ses ancêtres et se projetant dans la perspective de ses descendants, jusqu'à la concentration du moine bouddhiste sur sa respiration, la contemplation du « récit sacré du mystère du salut » par le moine chrétien, à la rage sacrée du djihadiste ou du croisé - ne sert qu'à « passer le temps » tout en résistant à la pulsion de mort. Elle est le dernier, le plus rusé de ces divertissements par lesquels selon Pascal nous cherchons à nous distraire de la pensée de la mort pour aller plus loin, « Keep moving » comme dit une marque de cigares américain. Comme le dit Jean Soler (La Loi de Moïse, Ed. De Fallois, 2003, p. 341 note 24) : "Pascal appelle 'divertissement' toute activité qui empêche l'homme de penser à la mort ... preuve de la 'misère de l'homme sans Dieu'. Pascal est moins perspicace que l'Ecclésiaste parce qu'il ne voit pas que la pratique religieuse qu'il préconise en lieu et place des "divertissements" est-elle même un divertissement."

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Or c'est peut-être ce que voit le bouddhisme. Il a sans doute été la première « religion » à analyser le phénomène religieux du point de vue de l'individu - débouchant il est vrai sur une sociabilité reposant sur la "sympathie" - et à dévoiler son enracinement dans la suggestibilité hypnotique . Ce n'est pas étonnant qu'il ait été fondé par un de ces sannyasin indien dont l'errance sacrée permettait d'échapper à tout ordre social particulier ou localisé et dans lequel H.Dumont (Essais sur l'Individualisme, 1991) voit les premières manifestations historiques d'un individualisme qui allait finalement triompher en Occident. Plutôt qu'une religion, il fut sans doute d'abord une psychologie débouchant sur une « science de la religion » et une « technique de guérison, ou 'libération' » visant d'emblée le bien-être ou la « non-souffrance » de l'individu par une forme d'auto-hypnose accompagnée, comme l'épicurisme, d'une éthique du contrôle des besoins et des désirs.  Le bouddhisme du Bouddha fut sans doute d'abord une approche "psychothérapeutique" dirions-nous de nos jours. Bien que les textes bouddhistes les plus anciens énoncent les conditions de la co-existence harmonieuse de l'individu avec la société, ils mettent aussi en évidence la caractère potentiellement aliénant des sociétés, des religions qui les cimentent, et de leurs conformismes. C'est bien d'abord le bien-être psychologique de l'individu qu'il vise. Il est en quelque sorte la méthadone de ces drogues dures que sont les religions.

Pour recréer l'extase permettant la catharsis - remontée, analyse, et ré-interprétation des souvenirs, les fameuses "vies antérieures" -  il va utiliser une des multiples techniques yogiques indiennes, la "méditation" (dhyana, chan, zen)  visant à se libérer de la crainte du futur et des regrets ou remords relatifs au passé,  afin de vivre le moment présent - la développer tout en la séparant du contexte religieux de l'hindouïsme de son époque, le védisme. Il va nier l'existence d'une âme qu'elle soit universelle (Dieu ?) ou individuelle et va, comme un peu plus tard Épicure en Grèce - qui lui aussi faisait de la concentration dans le moment présent l'essentiel de l'ascèse matérialiste - réduire les dieux au statut de « créations de l'esprit humain à des fins de suggestion thérapeutique ».

Le Bouddha a bien compris que l'hypnose est un des ingrédients fondamentaux de toute religion, mais aussi de tout système politique, autant que de tout système de « fidélisation » des clients. Mais il la met d'abord  au service de l'analyse de soi et des phénomènes mentaux. Même si le bouddhisme devait par la suite prendre lui aussi parfois, souvent, des formes religieuses, inévitablement aliénantes, pour la première fois dans l'histoire, l'hypnose est détournée de l'utilisation qui avait le plus souvent été la sienne - le contrôle des individus par le groupe - pour la mettre au service de l'individu. Certaines interprétations du bouddhisme ont d'ailleurs pu mener à formes politiques féodales au Japon et modernes en Chine,  confinant à l'anarchisme. C'est pourquoi si les pouvoirs politiques l'ont souvent utilisé, ils s'en sont aussi parfois méfié, en Chine particulièrement mais aussi au Japon.

Les techniques d'induction de l'hypnose utilisées par le bouddhisme ressemblent à celles utilisées par les religions. A la différence cependant que les objets de concentration, s'ils peuvent être des idées sont au départ rarement des mots ou slogans (mantra). Sont plutôt favorisés des objets ou phénomènes concrets : point brillant ou coloré, image, rythme du souffle respiratoire, puis défilement des affects et pensées (projets, remords, regrets). Vient ensuite la concentration sur des idées  mais, dans le bouddhisme originel au moins, rarement sur des mots. Dans ce bouddhisme, dont le theravada et le zen sont restés les plus proches, ces techniques, sont envisagées comme telles, des outils, et ne sont pas essentiellement ou en principe associées à des métaphysiques ou à des « récits2  ou mythes » eschatologiques, impliquant des notions de « vérité », de « victoire finale de cette vérité » et ou de domination universelle. Le Canon pâli va jusqu'à prédire la disparition du bouddhisme, avant sa renaissance il est vrai dans un prochain kalpa à l'apogée duquel apparaîtront le roi Sankha régnant de sa capitale Ketumati, figure d'une société idéale, prête à l'avènement du futur Bouddha, Metteya/Maitreya. Cette apogée cependant d'après la logique de la cosmologie hindoue et bouddhiste, devrait connaître à nouveau le déclin. Et lorsque le mahayana envisage une mythique « fin de l'histoire » c'est sous la forme de l'illumination de tous les êtres vivants, non sous celle de la victoire d'une organisation, d'un état ou d'un groupe d'états, fussent-ils bouddhistes.

Bien sûr les associations (sangha) bouddhistes, que ce soit en Inde ou en Asie de l'Est ou du Sud-Est, solliciteront bientôt la protection des États qui à leur tour les utiliseront pour atteindre leurs objectifs. Mais cela n'empêche que l'expérience fondatrice du bouddhisme reste enracinée dans l'individu et dans le corps. Ce qu'on appelle maintenant « pleine conscience ». Ce qui témoigne de ses origines yogiques. Il n'y a pas de salut collectif qui soit le résultat automatique de l'adhésion à une doctrine ou à une organisation. Le salut est le fruit d'une ascèse individuelle méthodique, clairement distincte du contenu des doctrines élaborées au cours des âges par les différentes écoles du bouddhisme. Le bouddhisme est orthopraxie plutôt qu'orthodoxie.

J'ai entendu le lama Yeshe, rencontré à Bruxelles dans les année 90 définir ainsi le bouddhisme par rapport aux religions : "Le bouddhisme est le ciel vide sur le fond duquel défilent les nuages que sont les religions".

Quant à moi, je me risquerai à la métaphore suivante : le bouddhisme est aux religions ce que la méthadone est aux drogues dures, un moyen de désintoxication des religions. 

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La seconde grande religion qui tentera de transcender la famille, le clan, la tribu et la nation, sera le christianisme. Les Églises – même orthodoxes, même protestantes – se veulent toutes « catholiques » c'est-à-dire « universelles ».

Les religions connaissent le succès dans telle ou telle société parce qu'elles répondent à des besoins, manques, excès ou déséquilibres dont ces sociétés souffrent à ce moment-là. Si le succès du bouddhisme en Inde est sans doute explicable par le caractère étouffant des structures d'une société centrée sur les villages et les castes qui y commençaient à s'y imposer alors que par ailleurs le développement économique du Nord de l'Inde ouvraient aux "jeunes" de l'époque des perspectives de voyage et d'émancipation, celui du christianisme l'est probablement par le caractère tatillon des rituels et interdits du judaïsme de cette époque ainsi que par le caractère tyrannique de la figure du Dieu des Israéliens. Dans l'Empire romain c'est à la figure de dieux indifférents - plutôt que tyranniques -  que le christianisme et son Dieu-Amour devait  apporter un antidote. 

Le christianisme recourt moins aux techniques hypnotiques que le bouddhisme. Il vise à rassurer l'individu en souffrance non par l'identification à un groupe ethnique mais par un type de suggestion émotionnelle l'assurant que Dieu l'aime personnellement comme pourrait le faire un père ou une mère. Le gage en est que Dieu se serait fait homme et serait mort pour le sauver. L'individu se projette ici non plus dans la perspective de la survie de sa progéniture ou de sa race mais dans celle de sa survie personnelle et de la victoire eschatologique de l'Église, assemblée des « enfants de Dieu », réalisation sur terre de la Cité de Dieu.

Le fidéisme chrétien et le caractère irrationnel de certains de ses dogmes provoquèrent en Occident à partir de la fin du Moyen-Âge et de la Renaissance une critique de la religion qui devait aboutir à un retour aux prémisses métaphysiques de l'Antiquité, à un affaiblissement du rôle des Eglises dans les sociétés occidentales modernes et à différentes formes de sécularisme ou de laïcité. Les sociétés occidentales les plus sécularisées gardent cependant du christianisme son égalitarisme théorique (ni caste, ni race dominante) et son souci d'un minimum de justice sociale.

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Mohamed, représente au 6e  sièclede l' EC, le porte-parole de l'humiliation historique des tribus arabophones polythéistes de l'Arabie, restées arriérées par rapports aux peuples sémites riverains de la Méditerranée. Initiateur de la dernière des religions universelles, il est remarquable en ce qu'il semble avoir parfaitement compris les mécanismes de l'hypnotisme et de la suggestion qu'il va mettre au service d'un nationalisme arabe, d'un Rêve Arabe (Le Coran est « une révélation en arabe pour les Arabes »). Il a en particulier bien compris que plus l'objet hypnotique est simple, plus il est efficace. Les instruments de mobilisation de Mahomet sont

  1. une idée : l'unicité absolue de Dieu
  2. de cette idée un Arabe, lui-même, est le formulateur, en arabe, pour les Arabes
  3. une invocation, un mantra « Allah Ouakhbar » qui est aussi cri de ralliement et cri de guerre destiné à intimider et terroriser l'adversaire (comme d'ailleurs le voile complet des femmes musulmanes).
  4. Le Coran, livre pas très long et d'une lecture assez facile si on le compare à la Bible, aux Védas hindous et au Canon bouddhique. Le Coran ne peut être interprété que par les arabophones.

Mais Mahomet à plusieurs points de vue a échoué à faire de l'islam l'instrument intégrateur et fédérateur qu'il voulait :

  • de la société arabe pré-islamique il garde la structure clanique endogame ; s'il tente de l'élargir aux dimensions de l'Eglise musulmane, l'Oumma, il réussit moins bien que le Judaïsme qui arriva à effectivement fédérer les Douze tribus issues de Jacob pour en faire un seul peuple, ou que l'Eglise catholique qui dès sa victoire à Rome au 4 e siècle puis dans le Saint-Empire s'attaqua avec succès à l'endogamie de clan, ce qui aboutit à une société relativement intégrée malgré l'émergence et la survivance de la caste aristocratique. Les inconvénients de la structure clanique se manifestent jusqu'à nos jours dans les sociétés arabe, pachtoune et turque particulièrement par une hostilité endémiques entre sectes et clans pourtant musulmans.
  • Il transpose dans les rapports inter-religieux l'hostilité absolue et sans scrupule, ainsi que la mauvaise foi (takya) , qui marque les rapports entre clans ou tribus se disputant un même territoire.
  • Contrairement à une idée répandue en Occident, la société musulmane idéale n'est pas égalitaire. Non seulement les musulmans y représentent une caste supérieure mais à l'intérieur même de cette caste, la force - physique, économique ou militaire (tout musulman, comme tout citoyen américain, peut être armé ne fût-ce que d'un couteau, )  - est signe de la faveur et de l'élection divine. 
  • A l'époque de la globalisation et d'internet tout le monde peut lire le Coran sinon en arabe au moins dans plusieurs traductions. Un livre qui ne fut d'abord accessible qu'aux Arabes, lettrés ou non, aux musulmans lettrés turcs, pachtounes ou indiens, est maintenant à la disposition de tous sur le site Lexilogos par exemple. Or ce livre comporte plusieurs dizaines de passages qui sont à notre époque extrêmement problématiques car exprimant une hostilité insultante et meurtrière à l'égard non seulement des Juifs et des chrétiens mais aussi des polythéistes, au rang desquels d'après les critères mêmes de l'islam, il faut placer un milliard d'hindous, plus d'un milliard de chinois, et sans doute encore plusieurs centaines de millions d'animistes répartis sur toute la planète que ce soit en Amérique du Sud, en Afrique ou dans les régions himalayennes d'Asie, soit entre quatre et cinq milliards d'individus.

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La suggestibilité, ce potentiel et cette capacité sans doute essentiels de l'humain – peut-être aussi des animaux – réside d'abord dans l'individu. La majorité des individus étant sans doute capables d'être suggestionnés, autant que de suggestionner, ce potentiel se déploie socialement. Il est en soi neutre : il ne s'identifie pas nécessairement à la raison (au raisonnable ou au rationnel) encore qu'il puisse l'être. On a vu Héraclite puis Platon diviniser le Logos et l'école bouddhiste chinoise de Kuiji identifie la bouddhéité au plein exercice de la raison. Lié à un système politique ou devenu objet de culte dans un système religieux, ce potentiel peut être utilisé pour le meilleur comme pour le pire.

Dans le cadre de l'islam on peut considérer le concept du Dieu unique (il s'agit bien d'un Dieu Un, séparé et distinct du Monde / Univers ou Réel Un) et les symboles qui lui sont attachés – le croissant de lune – comme ce que le bouddhisme appelle un « kasina » c'est-à-dire un des objets susceptibles d'induire l'auto-hypnose. L'objet de concentration originel du bouddhisme est la respiration, son rythme et les sensations proprioceptives (internes) qui l'accompagnent. Mais il existe aussi un grand nombre de kasina, objets de concentration externes : pointe d'un bâtonnet d'encens, flamme d'une chandelle, cercle de couleur, disque de la pleine lune, etc. Le mahayana qu'il soit chinois ou tibétain développera beaucoup la pratique du mantra, répétition d'un mot – suggérant une image mentale. Aucun de ces objets n'est jamais présenté comme pouvant faire l'objet d'un culte. Les kasinas sont des moyens d'induction de samatha, calme résultant d'une concentration intense. Chacun peut d'ailleurs créer de nouveaux kasina qui lui conviennent.

Dans ce que l'islam fait du monothéisme on peut voir l'histoire d'une idéologie devenue folle autour d'un concept et d'un mot.

Les civilisations elles aussi - dans la mesure où elles ne sont que des formes transitoires, guère plus durable à l'échelle des 3 milliards de l'espèce humaine, que des nuages se formant et de défaisant pour en former d'autres - sont mortelles comme le rappelait Valéry il y a un siècle déjà.


La civilisation occidentale en devenant globale est sans doute en train de se dissoudre. Mais les candidats à la succession ne manquent pas. Il y a peu de chance cependant qu'islam ou islamisme, qu'ils soit sunnite ou chiite, arrive à s'imposer. Le fédérateur le plus probable du monde à venir pourrait être la Chine qui ambitionne déjà de récapituler l'histoire humaine afin de la préparer à franchir l'étape suivante. A cet égard, les indices, économiques mais aussi migratoires et culturels s'accumulent. A moins que l'emporte le projet d'État universel dont l'ONU représenterait l'ébauche. 

Il est peu probable que des sociétés qui envoient des vaisseaux spatiaux et des hommes dans l'espace se laissent intimider par l'islam et que l'avenir lui appartienne alors qu'au sein de ses oulémas existent encore des experts qui mettent en doute que l'homme ait marché sur le lune. Dans la société globale à venir, il est probable que, comme en Occident et comme en Chine, les religions seront de moins en moins considérées comme héréditaires, que les individus de plus en plus pourront choisir les conceptions métaphysiques, religieuses ou athées, qui leur conviennent, éventuellement en changer, en choisir plusieurs ou aucune.

Mais il existe un réel danger. Si à l'avenir suite à de trop grands écarts dans les niveaux d'éducation et de revenus des différentes catégories sociales, étant donné la très grande efficacité de la technique hypnotique de l'islam - croyance en un Dieu unique distinct de la nature, pratiques telles que la répétition perpétuelle du nom de Dieu, récitation de ses qualités, psalmodie envoûtante du Coran – associée à une idéologie sectaire et malveillante vis-à-vis de ce qui n'est pas elle, paranoïaque, faisant de chaque croyant le représentant de Dieu sur terre vis-à-vis de tout qui il considère comme infidèle, même s'il est musulman, les progrès de l'islam pourrait signifier non pas la « paix éternelle » qu'il prétend signifier mais un état endémique de troubles civils. Le danger serait alors que nos élites politiques soient tentées afin de sauvegarder la paix sociale et de maintenir l'ordre public de donner aux musulmans ce qu'ils exigent déjà - la charia – qui à terme contaminerait nos codes et nos coutumes et finirait par faire des non-musulmans des parias. L'aboutissement de ce processus serait une Europe qui ressemblerait au Moyen-Orient d'avant la colonisation.

La question qui va sans doute se poser à l'humanité au cours du XXI e siècle est sans doute celle-ci : veut-elle se soumettre au kasina de « Un seul Dieu » ou à celui de « Un seul Monde ».


















1François Brabant, Ecolo ne parvient pas « à faire rêver », Le Vif l'Express, 6 mars 2015.

2« narratives » en anglais.

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